A reality tour : David Bowie

« La réalité est une fiction crée par le manque d’alcool » disait ce vieil alcoolique de Bukowski. La phrase a de la tenue, et je ne sais pas vous mais moi je ne me sens pas de contredire ce vieil alcoolique décédé en 1994.

Bowie n’a rien d’un alcoolo. À le voir jouer en 2003 sur tous les Bercy de la planète on jurerait même qu’il n’a jamais touché à une goutte de whisky de sa vie. Pas une bière, pas un repli, pas une aspérité.

Un jeune homme bien sur soi, quoi. Propre et tout. Le gendre idéal. Beau oui, dans un nouveau genre à la Redford. Sur scène il fait quasi vingt ans. La réalité ? Il en avait alors 56. À deux doigts de se traîner à l’hôpital pour quelques pépins de santé. À 56/57 ans cela arrive. Même dans ce XXIème siècle balbutiant, même en 2004. Bowie a dû annuler sa tournée. Sinon pour quelques fugitives apparitions, il n’en est jamais vraiment revenu.

La Réalité, c’est le nom de son dernier album, de sa dernière tournée. Une réalité dans laquelle Bowie est donc un jeune homme blond qui court dans tous les sens, qui joue avec un public probablement jamais aussi nombreux et diversifié. Certain ont raillé et raillent encore cet album jugé mineur dans la carrière de Bowie. Cela est vrai mais, aussi, cela est faux.

Reality n’a pas la portée historique et sociale de Ziggy Stardust, il ne reflète plus la même jeunesse. L’album ne voit pas non plus Bowie expérimenter avec génie l’avant-garde des Low et autres Heroes. L’avant-garde n’existe plus, tout est dans les niches. Les mélodies, jamais, ne pourront rivaliser avec la simplicité et la grâce de celles d’Hunky Dory. Tout cela est connu, évident. Pas besoin d’écouter l’album pour savoir cela ni de lire les critiques. Nul besoin de l’écrire.

Et pourtant, on est quelques-uns à penser que l’album a ses vertus et que sa tournée a une importance tout aussi capitale que diablement sexy. Tout tient dans le titre. A Reality Tour. La réalité selon Bowie. La réalité sur Bowie, lui qui aura passé sa vie à créer des monstres de lui-même. Un énième pied de nez donc, une énième tromperie. Bowie joue au jeune homme branché quand on sait tous qu’il est vieux. Énième mascarade d’un artiste qui porte des masques pour nous dire qui il est. L’album n’est rien d’autre qu’un retour fantasmé sur lui-même, sur le souvenir de ces masques portés. Un album sur New-York disait-il. Mais un New-York porté par le souvenir. Souvenir d’une jeunesse perdue (« Never get old » ) et sur les lieux sublimes qui le hante encore : « All the corner of Buildings / Who but We remember This ? » (« New Killer Star » ).

 Quand tous n’ont vu qu’un album méphistophélique d’un homme qui refuse de vieillir, c’est en fait le disque d’un vieil homme assumé mais encore une fois déguisé, qui lègue une partie de sa mémoire. Pardon au vieil alcoolique, mais la réalité de Bowie serait plutôt une fiction créée par un surplus d’idéal, par une volonté de s’échapper du réel : « I still don’t remember how this happened /I still don’t get the wherefores and the whys/ I look for sense but I get next to nothing /Hey boy, Welcome to Reality » chante-il haut et fort sur la chanson titre.

La réalité n’est pas le meilleur axe pour parler du vrai, de ses sentiments, de ses angoisses. Autant créer ses propres fictions -Major Tom, Thin White Duke, Nathan Adler qui sont autant de personnages incarnés par Bowie dans son oeuvre – pour les révéler dans leur sens le plus profond. Le Major Tom de la chanson Space Oddity permettait à Bowie de se révéler Junkie et peut-être même bisexuel ( le terme « odd »  était un synonyme obscur pour « homosexuel » dans les années 1960 et quelques lignes sont particulièrement ambigües : «  Tell My wife I love Her, She Knows »).

Au-delà l’écoute de quelques chansons sublimes (« New Killer Star », « Reality », « She’ll Drive the Big Car », …) C’est aussi pour cela qu’on aime cet album, cette tournée, ce disque/dvd live, un peu comme on aime la série des American Recordings de Johnny Cash enregistrée à la fin de sa vie ou encore les derniers albums de Dylan. C’est cette pour cette lucidité et ce retour sur eux-mêmes dont-ils témoignent. Une sincérité cachée, masquée qui s’adresse directement au public, à ceux qui savent.

Outre l’album, qui a bientôt 10 ans maintenant, un double cd de la tournée est disponible depuis peu (33 chansons !). Je ne saurai que trop vous conseiller cependant de vous procurer le dvd de la tournée. Il est certes moins complet ( deux chansons en moins, bon… ) mais tellement plus sexy. Les meilleurs extraits, malheureusement/ heureusement, sont visibles sur YouTube, qui propose même le luxe incantatoire de livrer quelques versions live inoubliables. Comme ce New Killer Star dantesque enregistré sur un plateau télé parisien.

 Bibalice.

Liens en Vrac

CDs :

  • BOWIE David, Reality, Iso/Columbia, 2003, 49,25 min.
  • Le Live : BOWIE David, A Reality Tour, Iso/ Columbia, 2010, 154min.
  • Le DVD : BOWIE David, A Reality Tour, Iso/Columbia, Sony Music Video, 2004, 145, 42 min.

 

 

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